« Seigneur, que de vertus… »
Évidemment, le gamin n’a pas paru conquis – ses parents lui avaient déjà offert le DVD d’Harry Potter pour son anniversaire. La mollesse de son enthousiasme lors du déballage a tout de suite été interprétée comme il souhaitait qu’elle le fut, en dépit d’une simulation d’illumination tardive. D’ailleurs, Tatie Michèle subodorait le risque, car elle s’était modérément impliquée dans la recherche du cadeau, et son « Tu peux le changer si tu l’as déjà, j’ai gardé le ticket » est tombé bien vite. Il n’empêche, c’était quand même une bonne idée dans l’absolu – je sais qu’il adore Harry Potter, et puis c’est bien, maintenant, les DVD, il y a les secrets de fabrication, le making of comme ils disent. Au milieu des conversations adultes sur les merveilles de la technologie, étouffant dans leur enjouement l’échec des cadeaux vite faits ratés, l’enfant a remercié honorablement, deux bises à Tatie Michèle, contrat rempli en apparence.
Mais pourquoi les mères veulent-elles toujours que le mieux soit l’ennemi du bien ? La maman du gamin a souhaité aller jusqu’au bout de l’orthodoxie :
— Tu peux dire merci aussi à Tonton Henri !
Les composantes psychologiques à l’origine de cette intervention sont complexes. Un léger triomphalisme à l’égard de la belle-sœur est peut-être décelable, auquel cas le « merci aussi à Tonton Henri » pourrait être perçu comme un « merci quand même à Tonton Henri ». Par ailleurs, les différents membres de l’assemblée ont chacun leur réaction. Une lueur de fierté dans l’œil de la grand-mère – ma fille a toujours souhaité que ses enfants aient une éducation parfaite, et nous savons chez nous ce qu’est l’équilibre d’une vraie famille. Moue désapprobatrice du mari – qu’est-ce qu’elle a besoin de l’embêter avec ça, puisqu’il l’a déjà !
Mais le plus gêné est le Tonton Henri soi-même, qui ne savait pas ce que sa femme avait choisi d’offrir à leur neveu. Certes, sa participation financière est virtuellement inconstatable, mais tout cela sonne très faux. Les bises du gamin prennent un je-ne-sais-quoi de réprobateur dans leur lenteur conventionnelle. L’oncle Henri tente d’alléger la scène avec un bredouillement où l’on peut deviner dans une confusion pâteuse les éléments épars des deux phrases attendues : c’est bien normal, c’est pas grand-chose. Mauvais texte, mauvais rôle, mais tout d’un coup ce vers qui lui revient à point pour le faire sourire de l’intérieur :
« Seigneur, que de vertus vous nous fîtes haïr ! »